www.letemps.ch
CULTURE
Le Temps / Culture / Article
Pour les 100 ans d'Hergé, Tintin parle en patois gruérien
BANDE DESSINEE. Les liens entre Hergé et la Suisse furent profonds. Deux traductions et une exposition les perpétuent.
Ariel Herbez
Mardi 22 mai 2007
Hergé aurait eu 100 ans aujourd'hui, 22 mai. Tout au long de l'année, une pléiade de manifestations et de publications, inaugurées par l'exposition événement du Centre Pompidou (LT du 23 décembre 2006), célèbrent le génial créateur de Tintin dans toute la francophonie, et au-delà.
En Belgique, de nombreux événements sont dominés par la pose hier à Louvain-la-Neuve de la première pierre, enfin, du futur Musée Hergé par Fanny Rodwell, en tant que présidente des Studios Hergé et deuxième épouse du dessinateur, décédé en 1983. En Belgique, en France et en Suisse, les postes frappent timbres et cartes philatéliques à l'effigie de Tintin, Milou, Haddock ou Tournesol.
Les liens d'Hergé avec la Suisse furent nombreux, profonds et permanents. Il la découvre comme scout en 1922, vient s'y réfugier lors de ses crises et dépressions à la fin des années 40, y fait pour la première fois des repérages sur le terrain en 1954, pour préparer L'Affaire Tournesol, qui se déroule en partie entre Genève, Nyon et la côte française du Léman. Il engage aussi en 1932 une collaboration de plus de cinquante ans avec l'hebdomadaire catholique romand L'Echo illustré, qui publie toutes les aventures de Tintin, des Soviets aux Picaros.
Ces affinités sont remarquablement évoquées dans une exposition qui s'ouvre ce soir au Musée gruérien de Bulle. Mise sur pied par l'Association Alpart, un groupe de tintinophiles fribourgeois et romands, elle réunit documents rares, photos souvent inédites, magazines oubliés (Francs Regards, édité à Saint-Maurice, qui publia Jo et Zette), lettres originales d'Hergé à sa première femme, Germaine, dans lesquelles il exprime son désarroi du fond de sa cachette vaudoise (prêtées par Georges Remi, neveu homonyme d'Hergé). Et une lettre d'Hergé rappelle son amitié épistolaire avec Jack Rolland, mort il y a quelques jours, qui s'était insurgé dans son Bonjour contre l'interdiction de l'hebdomadaire Tintin par les autorités vaudoises: en 1953, elles l'avaient inclus dans une liste de «publications malsaines pour la jeunesse»! L'ensemble est dominé par la véritable jeep des pompiers de Nyon, rutilante, dessinée par Hergé à partir des photos qu'il avait demandées au rédacteur en chef de L'Echo illustré, Jean Dupont. A ne pas confondre avec l'autre Dupond...
Traduction étymologique
Enfin l'exposition présente une version très particulière de l'aventure «suisse» de Tintin, L'Afére Tournesol: éditée par Casterman à l'initiative d'Alpart, elle est traduite en patois gruérien par le président de la Société des patoisants de la Gruyère, Joseph Comba. «Environ 80% de la population comprend encore le patois, 25% peut-être savent le parler, note-t-il; j'espère qu'ils se procureront l'album et le liront devant les enfants.» Car pour lui, la bande dessinée est l'approche idéale, avec le soutien des images, pour intéresser les jeunes au patois, d'autant qu'ils pourront se référer à la version en français, dont il est resté très proche. A quelques nuances près: les jurons du capitaine Haddock sont des jurons gruériens dont les consonances se rapprochent de ceux du capitaine («mile tsankor» pour mille sabords!) ou des clins d'œil locaux («fê a bréchi», fer à bricelets, pour moule à gaufres). Et le stand de frites devant le château de Moulinsart vend ici de la «Hyà de Grevire», de la Crème de Gruyère...
Le gruérien est une forme locale de patois du groupe franco-provençal, ou arpitan, comme ses locuteurs l'appellent depuis 2004 et qui chapeaute les patois romands, savoyards et valdôtains. Or l'Aliance culturéla arpitana (http://www.arpitania.eu), basée à Fribourg, a également publié sa version du même album d'Hergé, en mars. Baptisé L'Afére Pecârd, en hommage à Auguste Picard, le modèle du professeur Tournesol, l'album est traduit (par Dominique Stich) selon une nouvelle graphie, étymologique, et non plus phonétique. Tintin parle savoyard, Haddock lyonnais, Tournesol et les pompiers de Nyon vaudois. Comme l'autre album, l'objectif est de rendre visible une langue en train de disparaître.
Casterman est très ouvert à la publication d'albums de Tintin dans de nombreux dialectes, dont le romanche et le bärndütsch dans les années 80. Jeudi, c'est au tour de L'Ile noire en ostendais, aussi dans le cadre du centenaire.
Le programme
Le Temps
• Hergé au pays des Helvètes, exposition au Musée gruérien, rue de la Condémine 25, Bulle (FR), jusqu'au 22 août, et Atelier du Radock à la Galerie Trace-Ecart, rue de Gruyères, jusqu'au 30 juin.
• Conférence de Benoît Peeters sur «Hergé et la Suisse» le 6 juin à 20h au restaurant Les Halles à Bulle.
• Lecture de «L'afére Tournesol» en patois les 13 juin à Bulle, 7 juillet à Gruyères et à Lausanne.
• Horaires et programme complet sur http://www.association-alpa...
• 2e Festival Tintin les 7 et 8 juillet au Festival de la Cité à Lausanne.
• Tout le programme européen du centenaire d'Hergé sur http://www.tintin.com