N'sin savoyard
Est-ce que vous avez déjà été par la France, en haut, en bas, et en travers ? C'est à peu près sûr. Tout le monde a le tracassin, ôre, et aime voir du nouveau. Et pis, dans les voyages, à ce qu'on dit, on apprend, on s'instruit, des viajes, on s'amuse...
Mais quand vous avez fait votre p'tit viron, dâvo, dâva, deux, trois jours ou une semaine, vous êtes assez contents de rentrer chez vous. Vous êtes assez contents de retrouver vos oules et votre fourneau à brasière, votre matte de bois sous le grand avant-toit, votre pêle, votre soli et votre beu, vos aises et vos habitudes.
Le nouveau, dans le fond, c'est pareil au même, et il n'y a pas d'endroits qu'on soit si bien chez soi.
Mais chez soi, c'est pas seulement sa maison, c'est encore son v'lage, son clocher, ses terres et ses montagnes. C'est le nant qui grebate de gouille en gouille, entremis les bossons de vernes. C'est le vieux pont à moitié déroché. C'est le chemin qui monte, en décontours, tant que sur les crets, tant que sur les montagnes, au milieu des peubles, des fayards, des pesses, suivant l'endroit. C'est les jardis bouquatés ou éters de fruite. C'est les bois de vuargnes ou de mélèzes, avec u sonjon les prés, les campannes, le spotets des bêtes en champ, plus haut encore, les rochers et la neige qui fond jamais. C'est dava, bien virées au feleu, les vignes avec leurs capites, leurs celles, leurs farteurs. Chez soi, c'est toute la Savoie, notre Savoie.
Alors, il faut pas avoir vargogne d'être de chez soi, d'être des Savoyards. Quand on veut insolenter quelqu'un, on dit : "Al est de nion, sin !" Nous, on est Savoyards et on a pas peur d'y dire. On a pas peur de porter un caraco ou un brostou.
On aime le matafan et les tartfiles barbots, les longeôles bien sades et la tomme au tièru. On parle le patois comme nos grands, et des fois, on l'écrit, quand on sait encore.
On se rappelle de la vie des autres coups. Ceux qui ont vivu avant nous s'en sont assez vu. Le pays a été pité et afeudré par les guerres. On a z'u les Pimontais et les Bernois, les Espagnols et les Français. C'était tous des seudats qui nous ont soçé la vie. Cà a été la misère en 4 volumes. Après avoir eu les peines, on a z'u les mocques. On nous a fait des mépris et les rechiens. "Savoyards, gare, gare !" qu'ils disaient en risant ceux de Genève, après l'Escalade. Comme si c'était de notre faute, pauvre tapadiots qu'on était, les bétianneries de notre Duc ?
"Et capoué ?" On s'est remonté comme on a pu et ore, on a pris le d'ssus. C'est les gens d'toute la France qui viennent chez nous, l'chaud-temps, pour se repicoler on bocon. Et ils nous trouvent pas trop crouies puisqu'ils reviennent toutes les années.
Alors, il faut pas avoir vargogne de ce qu'on est, de ce qu'on a été. C'est assez beau de s'être tirés de la misère, de n'âtre pas més des montreurs de marmottes et des ramoneurs de ch'minées, vignant serve-lerve.
Mieux, il faut maintenir, maintenir notre patois et nos vieilles coutumes comme on maintient une bonne ferme.
Il faut dire, en se redressant, comme disait mon vieux compagnon cu "Cmaclie", le ptiou d'La Combe", il y aura 50 ans "qu'n'sin Savoyards" !
Dian d'la Feudra (1888-1952), texte paru ds l'almanach du vieux savoyard de 1952.