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Nombre de messages : 114 Vellâjo/Lieu : Baragne mondiâla Date d'inscription : 16/12/2004
| Sujet: [Presse] Tintin parlera comme les Savoisiens d'antan Ven 18 Mar 2005 - 14:56 | |
| Actu / News Tintin in arpitan language soon on www.arpitania.chLe Faucigny, hebdomadaire, Bonneville. Décembre 2004. - Citation :
- Les auteurs du minidictionnaire français/savoyard terminent la traduction de L'Affaire Tournesol.
Tintin à Cervens et Bons-en-Chablais parlera comme les Savoisiens d'antan
«Oui! Et pendant ce temps-là, notre pauvre Tournesol s'éloigne de nous à toute vitesse!?», se torture Tintin tandis qu'avec Haddock, il chemine dans le village de Cervens, près de Thonon-les-Bains, tous deux poursuivant les ravisseurs du professeur, et traversant bientôt Bons-en-Chablais. L'inquiétude du reporter n'a pas décliné pour la traduction de L'Affaire Tournesol que terminent Dominique Stich, Alain Favre et Alban Lavy, mais son tourment, dans le parler populaire de l'ancien duché de Savoie - le savoyârd ou patouès -, s'exprime ainsi: «Ouè! Et pendent cél temps, noutron pouvro Pecârd que vat luen u grant galop!?». Le tournesol n'étant guère cultivé donc connu dans l'ex-province, les trois adaptateurs ont rendu au savant l'identité du physicien vaudois dont Hergé s'était inspiré: Auguste Piccard, qui s'entend Picard (habitant de la Picardie) et s'écrit Pêcard dans la langue nord-alpine d'antan. L'album, qui s'intitulera par conséquent L'Afére Pêcard, devrait sortir sous peu ; il adopte l'orthographe unifiée que Stich et Favre promeuvent dans leur mini-lexique français/savoyard publié par les éditions bretonnes Yoran Embanner. Car, jusqu'à maintenant, il existait autant depatouès que de Savoisiens. Dans le Dictionnaire savoyard de 1902, des érudits Aimé Constantin et Joseph Désormaux, le chien, pour exemple, se calligraphie çhin, stin ou tsin selon qu'il est sifflé à Thônes, Faverges ou Villard-sur-Doron. De quoi faire perdre son aboiement à Milou! Stich et Favre, inséparables comme des Dupond et Dupont, proposent une référence unique, chin . Le glossaire, grand comme une boîte d'allumettes, se trouve soutenu par le Mouvement Région Savoie, que préside l'un des auteurs (Favre), et les indépendantistes de la Ligue savoisienne.
Patrick-Alain Bertoni - Citation :
- «Tonerre de Brest!», Tintin se met au patouès
Parce que l'hélianthe ne pullulait pas dans le duché de Savoie, traduire le «Tournesol» de «L'Affaire» a semblé, au linguiste Dominique Stich et à l'instituteur Alain Favre, contrarier l'esprit de la lettre. Pourtant, dans leur Dictionnaire savoyard sorti au printemps 1902, Aimé Constantin - décédé alors depuis deux années - et Joseph Désormaux proposaient notamment solâ ou solwê pour désigner le grand soleil. Preuve que les Savoisiens ignoraient moins l'helianthus annuus que la bougainvillée, l'hibiscus ou le fuchsia.
Qu'importe. Soucieux de régionaliser à l'optimum la dix-huitième des «Aventures de Tintin», Stich, de Paris et Favre, qui enseigne des primaires à Douvaine, ont donc rendu au professeur Tryphon Tournesol l'identité d'un physicien dont Hergé s'inspira pour son personnage: le Vaudois Auguste Piccard, aérostier émérite et concepteur du batyscaphe. Ainsi le premier des vingt-quatre opus adapté dans le savoyârd ou patouès s'intitulera L'Afére Pêcard - tel Picard, habitant d'une province que le peuple savoyen connaissait. Stich et Favre, sorte de Dupond et Dupont d'un minidictionnaire français/savoyard qu'ils présentaient au bar Le Central Palace à Thônes devendro nuet 26 novembro (vendredi soir 26 novembre), se sont adjoint un tintinophile pour leur entreprise: le publiciste Alban Lavy, de Sciez, qui, dans le Chablais et les années 1990, éditait un mensuel baptisé Le Foron . Ni Casterman ni les éditions Moulinsart n'ont jamais récusé les versions dialectales des pérégrinations du reporter belge et de son fox-terrier blanc Milou. Picard, bruxellois, provençal, ou breton et, bientôt bressan, mongol, westflamand ou savoyard cohabitent avec français, allemand, anglais ou espagnol. Stich-Favre et leur fidèle Lavy se trouveraient sur le point de terminer la savoyardisation deL'Affaire Tournesol , à laquelle, dimanche 28 novembre chez le second au bord du lac Léman, ils travaillaient encore. «On peut maintenant lire l'album comme si c'était un album normal», souffle le maître d'école douvainois.
Pourquoi traduire dans la langue populaire de l'ancien duché L'Affaire Tournesol d'avantage que Les Cigares du Pharaon, Coke en Stock, L'Oreille Cassée ou Objectif Lune? Les trois adaptateurs l'ont préférée pour l'une des contrées dans lesquelles Tintin et le capitaine Haddock pousuivent des barbouzes de la Bordurie - une dictature imaginaire d'Europe de l'Est - ayant enlevé le professeur afin de soutirer le secret d'un émetteur à ultrasons parabolique susceptible d'agir comme une arme de destruction massive. Héliportés de la berge vaudoise au-dessus du Léman, le reporter et l'officier de marine marchande atterrissent dans l'actuel Pays de la Côte. Du mont d'Hermone au massif des Voirons, Tintin et Haddock traversent les villages de Cervens et de Bons-en-Chablais avant de ragagner, huit pages après, l'Hôtel Cornavin à genève. Le bas Chablais français des années 1950 se voit rendu d'un crayon minutieux. «Je suis donc allé vérifier sur place», confiera le dessinateur bruxellois à Numa Sadoul dans Entretiens avec Hergé. Michael Farr, auteur de Tintin - Le rêve et la réalité - l'histoire de la création des aventures de Tintin , dépeint georges Remi, de sa véritable identité, «armé d'un appareil photographique et d'un carnet de croquis» pour restituer «l'exactitude du cadre». Chemin faisant parmi les Savoisiens, Tintin et Haddock sont voiturés dans un coupé italien par le villégiateur milanais Artura Benedetto Giovanni Giuseppe Pietro Archangelo Alfredo Cartoffoli. Tout à leur préoccupation de régionaliser L'Afére, Stich, Favre et Lavy, pour la version patouès , ont naturalisé valdôtain l'homme d'affaires lombard à l'inconduite sur route, et le montrent s'exprimant dans un parler cousin germain du savoyârd. Le même souci se manifeste pour Haddock, un châtelain du Braban wallon qui jacte soudain lyonnais, autre forme de francoprovençal, semblant avoir ainsi translaté Moulinsart sur la colline de Fourvière ou dans les monts d'Or. Lorsqu'à Nyon, sur les traces de Tournesol, le capitaine réchappe avec Tintin d'un attentat à la bombe retardée, comment les sapeurs-pompiers comprendront-ils, que Stich, Favre et Lavy, d'un régionalisme presque forcené, ont imaginé causant vaudois, également décliné du néolatin?... A lire.
Dans leur diccionèro de fata (dictionnaire de poche), premier essai d'une orthographe de référence - c'est-à-dire unifiée - d'un patouès jusqu'à présent multiforme, Dominique Stich et Alain favre ont exclu des 4'000 mots traduits des termes maritimes, peu coutumiers de la Savoie. Huître, langouste, ou marée sont passées par-dessus bord ; avalance (lavenche), fondue (fondua) ou marmotte (marmota) les ont relevées. Le casse-tête paraît dès lors insoluble pour adapter dans L'Afére Pêcard les jurons hauturiers du capitaine Haddock, qu'il s'agisse des «Marchands de guano» ou de «Mille sabords!» qui montent parfois jusqu'à mille milliards de mille millions». L'instituteur Favre rassure mais ne laisse rien guigner: «On a trouvé des trucs pas mal» ; seules «les formules les plus classiques» auraient été «conservées». Le maître d'école à Douvaine et le linguiste Stich à Paris ont planché une dizaine de mois sur leur mini-lexique, qui semble d'ores et déjà de quelque utilité pour piger L'Affaire Tournesol régionalisée et tantôt publiée, bien que le philologue parisien soutienne: «Le savoyard n'est pas une langue superdifficile» puisque «la plus proche du français».
Les travaux de Stich et Favre ont puisé dans ceux d'Aimé Constantin, un érudit thônain à qui est dû le Dictionnaire savoyard de 1902, et d'Ida Mermillod, une auteure des Villards-sur-Thônes qui a collecté ou composé les bèrrots (charettes) de Proverbes, dictons et réflexions parus voici six ans. Stich et Favre ont sacrifié «certains particularismes qui sont trop, trop locaux», car un nom ne vaut si 90% de la Savoie ne le disent pas». Constantin, au début du XXe siècle, se divertissait d'une telle foison: «Si quelqu'un disait que, des rives du Léman au pied du Mont-Cenis, il n'y a peut-être pas vingt mots qui se prononcent exactement de même, tout le monde crierait au paradoxe ; à notre avis, ce quelqu'un serait bien près de la vérité». Diablement modernistes, Stich et Favre ont dépoussiéré. «Une langue, justifie l'un, ce n'est pas seulement la traite des vaches et la paille, c'est aussi le téléphone portable» - le cuèrlèt portablo . «La langue, abonde l'autre, doit vivre avec la société d'aujourd'hui, voire de demain.» A défaut de règles communes aux Chablaisiens, Faucignerands, Tarins ou Mauriennais, le projet de Constitution mitonné par la Ligue savoisienne avait retenu le français pour langue officielle d'un hypothétique Etat souverain. Pour patrice Abeille, secrétaire général des indépendantistes, et contributeur au diccionèro de fata, il était apparu «un peu prématuré ou présomptueux» d'ériger «officielle une langue qui n'a pas encore de forme codifiée ou unifiée».
Patrick-Alain Bertoni | |
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