Bataille entre élus sur la protection des rives du lac d'Annecy
LE MONDE | 02.11.06 | 15h16 • Mis à jour le 02.11.06 | 15h16
ANNECY (Haute-Savoie) ENVOYÉE SPÉCIALE
Autour des eaux calmes du lac d'Annecy, l'atmosphère devient chaque jour plus tempétueuse. La querelle oppose Bernard Bosson, maire (UDF) d'Annecy, épaulé de partis de gauche et d'associations de défense de l'environnement, aux huit maires des autres communes riveraines du lac, dont Bernard Accoyer, maire (UMP) d'Annecy-le-Vieux, et président du groupe UMP de l'Assemblée nationale. L'enjeu, ultrasensible dans un paysage aussi exceptionnel : de nouvelles possibilités d'urbaniser les rives.
"Mon père (Charles Bosson, maire d'Annecy de 1954 à 1975) a eu le prix mondial de l'environnement pour le sauvetage des eaux du lac, je ne peux pas laisser faire ça en continuant à me regarder dans la glace", affirme M. Bosson.
Il suffit d'une heure pour effectuer le tour complet du site en voiture. Malgré une pression foncière maximale - les terrains sont parmi les plus chers de France -, le paysage a été relativement préservé : les zones d'activité sont installées près de la route, et les habitations ne "mitent" pas le paysage. A intervalles réguliers, Thomas Brée, chef de cabinet de M. Bosson, désigne les espaces inconstructibles, coulées et coteaux aujourd'hui verdoyants, qui pourraient être urbanisés dans le futur.
"Depuis vingt ans, la loi littoral s'applique à 100 % du territoire des communes du bord du lac, explique M. Bosson. Elle n'a pas bloqué l'urbanisation, mais elle a permis de ralentir le rythme. Faut-il au contraire accélérer et tout bouffer en une génération ?"
A l'origine de la controverse se trouve un amendement à la loi sur le développement des territoires ruraux du 23 février 2005, qui concerne les lacs de montagne, où s'appliquent à la fois la loi littoral, mais aussi la loi montagne. L'article permet "de mettre fin aux contraintes qu'engendre la superposition des deux lois, manifestement excessives, sources de complications juridiques et frein au développement pour les communes concernées", affirme la commission des affaires économiques du Sénat.
Désormais, les maires des communes riveraines des lacs de montagne de plus de 1 000 hectares pourront décider où chacune des deux lois s'appliquera. Or, la loi montagne, conçue pour permettre le développement d'un espace qui se désertifie - ce qui est loin d'être le cas des rives du lac d'Annecy -, offre des possibilités d'urbanisation plus grandes que la loi littoral, même si elles restent contrôlées. Le processus de révision autour des lacs peut être lancé soit par le préfet, soit par une initiative conjointe des maires riverains.
L'amendement s'applique à sept autres grands lacs d'altitude : Le Bourget (Savoie), Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), Léman (Haute-Savoie), Naussac (Lozère), Vassivière (Creuse), Sarrans et Granval (Aveyron et Cantal). Pour l'instant, seuls les maires riverains du lac d'Annecy ont élaboré un projet de redéfinition des tracés, à l'invitation du préfet. C'est ce projet qui a motivé la réaction du maire d'Annecy.
M. Bosson a fait chiffrer le potentiel d'extension urbaine supplémentaire à plus de 1 200 hectares, et utilise tous les moyens possibles - pétitions, réunions publiques, recours légaux - pour faire annuler ce qu'il nomme "la loi du fric et du béton". Dernier épisode en date : M. Bosson souhaite organiser une consultation des habitants, mais il a été renvoyé devant le tribunal administratif par le préfet.
Les huit autres maires riverains sont tout simplement ulcérés par cet activisme. "Si le député Bernard Bosson avait pris la parole en séance à l'Assemblée nationale, en sa qualité d'ancien ministre de l'équipement, il aurait sans doute été entendu. Mais il n'a pas participé aux travaux, et son groupe a voté en faveur du texte", relève M. Accoyer, qui décèle dans ce combat une "manipulation électoraliste mensongère". Pierre Hérisson, maire (UMP) de Sévrier (Haute-Savoie) et sénateur, y voit "une tentative de résurrection politique".
"Les maires du tour du lac n'étaient pas demandeurs de cet amendement", affirme de son côté Georges Pacquetet, maire (sans étiquette) de Saint-Jorioz (Haute-Savoie), outré "qu'on nous traite de bons à rien vendus aux bétonneurs".
A vrai dire, personne ne revendique la paternité de l'amendement, déposé par le gouvernement. La préfecture de Haute-Savoie renvoie les questions vers le ministère de l'équipement..., qui les renvoie à son tour vers M. Accoyer.
Et personne, bien sûr, ne souhaite endosser le rôle du bétonneur. "Ici, on ne peut pas être élu si on ne s'engage pas à protéger l'environnement, affirme M. Accoyer. Il ne s'agit pas de bétonner, mais de pouvoir manoeuvrer, pour créer un minimum de logements." De toute façon, poursuit M. Accoyer, "il ne se passera rien". Devant la polémique, les huit maires viennent de demander par courrier au ministre de l'équipement, Dominique Perben, de s'abstenir de demander au préfet de lancer officiellement la procédure de révision.
Pour Bernard Bosson, "les protections actuelles ne tiennent que par la volonté provisoire de maires provisoires. Au fil du temps, les effets pervers considérables de l'amendement apparaîtront". "M. Bosson, riposte M. Hérisson, doit respecter les élus d'aujourd'hui et faire confiance à ceux de demain."
Gaëlle Dupont
Article paru dans l'édition du 03.11.06.